• Isis serait-elle Al-Uzza? la gazelle d'Anukis comme piste d'investigation anthropologique

    Isis serait-elle Al-Uzza? la gazelle d'Anukis comme piste d'investigation anthropologique

    la gazelle en Nubie 

    " L’avenir nous torture en même temps que le passé. Que de choses

    salutaires à l’homme sont pour l’homme des poisons ! Sa mémoire lui ramène les angoisses de la peur, sa prévoyance les anticipe. "

    Sénèque, lettre 5 

    Tout est sujet à angoisse, notre réflexion sur le passé comme notre projection dans l’avenir... Partant de cette pensée de Sénèque, et pour exorciser cette angoisse fondamentale de la mémoire, qui fait que certains cèdent parfois à une mémoire obsessionnelle, voire psychotique du passé, nous proposons de revisiter le passé de cet Orient dont on ne doit pas oublier qu'il demeure, et depuis le fond des âges, le lieu de la lumière naissante, du " levant ".

    Revenons à nouveau à l'image de la gazelle qui fut, dans l'ancienne culture arabe, symbole de grâce, d’une beauté sauvage plutôt rattachée au féminin et, plus précisément, à certaines divinités féminines (voir notre article paru en page Culture de l'édition du 23 novembre dernier).

    Mais on trouve souvent des liens forts et des parallèles éloquents entre des divinités connues en Arabie et des divinités appartenant aux deux grandes civilisations, celle de la Mésopotamie et celle de l’Égypte. C’est ce qui nous amène aujourd’hui à faire un détour par le panthéon égyptien, et à pousser l'incursion jusqu'en terre de Nubie. Une enquête dont on espère qu’elle nous placera au centre d'un nœud de confluences, auquel l'Arabie heureuse ne fut certes pas étrangère.

     

     

    La triade Anukis, Satis et Isis

     

     

    Dans un ouvrage collectif intitulé L’Homme et ses Symboles, édité il y a plusieurs années sous la direction de Carl Gustav Jung, Aniéla Jaffé nous livre dans son article sur le symbolisme dans les arts plastiques la réflexion suivante : " Dans les religions et dans l’art religieux de presque tous les peuples, des attributs animaux sont associés aux principaux dieux, ou ces dieux sont représentés comme des animaux. " 

    La gazelle était un attribut de la grande Isis, mais aussi d’Anukis ou Anuket associée et parfois supplantée par la déesse Nephthys, la sœur d'Osiris et de Seth... Anukis, ou celle qui donne la vie, était vénérée dans les îles de Nubie.

    La triade Anukis, Satis et Isis avait pour symbole la gazelle dorcade. Il s'agit d'un petit animal d’un peu plus de 50 cm qui évoluait en Afrique du Nord, du Soudan à l’Algérie, tandis que la gazelle à goitre se retrouvait en Arabie et dans d'autres contrées asiatiques…

    Anukis était souvent représentée sous une forme humaine, habillée d'une robe et coiffée d'une couronne de plumes, ou parfois de la couronne blanche agrémentée de deux cornes de gazelle, avec une alchimie qui mélange les deux genres, l'humain et l'animal, selon l'usage des religions qui ont fait une place à la zoolâtrie.

    On nous dit dans les sources qui racontent les pouvoirs de cette déesse que celle-ci est chargée de distribuer l'eau et de maîtriser la crue du Nil, de contrôler le chaos aquatique engendré par la déesse Satis. On la nomme d’ailleurs "la déesse qui nourrit les champs". 

    Isis, la grande Isis qui domine le panthéon égyptien, a également été associée à la gazelle. Notons que certains chercheurs avancent l’hypothèse que cette déesse est à rapprocher de la fameuse " Al-Uzza " du panthéon arabe. La ressemblance étymologique, phonétique et la similitude au niveau des fonctions font que nous pensons que leur intuition est à considérer avec intérêt.

    (Al-Uzza aurait-elle eu la gazelle comme attribut, auquel cas les deux gazelles en or de La Mecque, ayant été les protomés de la porte du lieu sacré, auraient fait référence à Al-Uzza ? Cela prouverait alors qu’Al-Uzza aurait était vénérée comme divinité centrale du temple arabique, un lieu dont on sait qu'il était dominé par des divinités féminines.) 

    Satis, la déesse qui purifiait les corps des pharaons à la porte du royaume des défunts, et qui deviendra plus tard la déesse de la chasse, porte aussi la couronne blanche de la Haute-Egypte, ornée de cornes d’oryx blanc. 

    L’oryx blanc est une espèce d'antilope proche de la gazelle. Elle était associée à Satis (ou Satet) et, parce que cette déesse fut aussi celle du chaos aquatique, l'usage était de sacrifier un oryx blanc pour conjurer la violence des typhons… 

     

     

    Etymologie

     

     

    La gazelle est fortement présente dans la mythologie arabe, mais on la retrouve aussi dans certains courants philosophiques relevant de la tradition islamique. D’où peut-être l’intérêt de ce voyage dans le symbole de la gazelle. Si elle n’est pas la créatrice, la gazelle représente la mère nourricière. Comme la louve pour Remus et Romulus, les fondateurs légendaires de Rome, c'est une gazelle qui allaite le héros de l’histoire du philosophe andalou Ibn Tufayl, " Hay Ibn Yaqdhan ".

    Certains se plaisent à souligner que le mot " gazelle " est d’origine arabe. Partant de cette hypothèse, et considérant la racine du mot composé en langue arabe de trois lettres (gh-z-l), il y aurait un parallèle intéressant à établir avec la poésie courtoise, dont l'un des modes les plus importants porte un nom de même racine. L’amour courtois mènerait-il, comme par un passage secret, à la gazelle comme symbole de la féminité divinisée dans les temps anciens sous la forme de déesses en charge de la fertilité, de la vie et de l’amour?

    Ce bel animal, qui est au cœur de la triade beauté-amour-femme, renvoie sans doute à l'une de ces parties lumineuses dont la vie des anciens Arabes n'était pas dénuée, et qui suggère que les gazelles de La Mecque n’étaient pas nécessairement adorées pour elles-mêmes, mais pour être des intermédiaires dans le temple de l'amour et de la vie. 

    La zoolâtrie, qui est une pratique que l'on retrouve dans de grandes civilisations, ne se laisse pas réduire facilement à une simple croyance primitive et naïve dans un pouvoir des animaux : on y retrouve le génie des religions qui furent celles de l'enfance de l'humanité, un génie qui savait célébrer le triptyque de la vie, l’amour et la femme. 

    E.J.

    Auteur : Par Emna Jeblaoui (Universitaire)

    http://www.lapresse.tn/supplement/la-gazelle-en-nubie.html

    Ajouté le : 07-01-2011

    La presse de tunisie- Suppléments-


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